D'un grain de lumière - Philippe Guiguet Bologne

Check-point
Slaïki, Tanger, 2018
42 pages, 4 Euros, 40 dh
10×15 cm
Dépôt légal : 2018M04091
ISBN 978-9920-720-33-5

extrait

Il y a le noir
La nuit s’emboit et se tait
Elle a l’intensité d’un enfant battu
Tout en retenue et insoutenable
La chambre se retire où elle se sait
Au creux de ses ombres
Les reliefs d’une humeur d’amour
D’un bel amour encore allant
Draps fripés de sens affilés
Dans un reste de chaleur froissée
S’émeut en plis défaits
Un brin de plaisir s’y terre encore
Souffle suspendu
À peine un halètement
Et nos sommeils sertis d’incertitudes

Quand dehors s’épouvante

Les tirs rompent la nuit
Déchirent l’ombre et claquent
Sifflements d’acier
Tacles d’éclat meurtriers
Une fureur sculptée au feu
Salves en autant de brûlées
Il y a le noir

résumé
Check-point est le troisième poème de la série Hærem et quantiques, après Prémisses et Tacles, et au sein de cette série clôt la Trilogie du Jbel El Wasat. Le dessin original de couverture est signé par Anuar Khalifi.
L’auteur explique : « Le poème débute dans une chambre cernée par une rixe. L’ombre tonne et vibre de l’éclat des tirs et de la peur. Une occupation militaire viole chacune des nuits et rend le sommeil aussi périlleux qu’une bataille. Il y a pourtant, dans cette chambre et dans cette ombre, autant d’amour que dans toutes les nuits du monde. Mais un amour suspendu à l’avènement constant de la mort.
Le check-point sépare et empêche. On en a disséminé partout, à travers tout le territoire et la vie entière, pour la rendre impossible. La violence banalisée et quotidienne qu’on y entretient est insoutenable. Une population entière se voit obligée d’y passer, traitée comme du bétail, soumise aux aléas incompréhensibles des règles fluctuantes et humiliantes d’une armée d’occupation. J’y suis passé, souvent. J’y ai eu peur et j’y ai eu honte. Au check-point, nous vivons l’expérience de la déshumanisation, comme cela avait dû être pensé dans les camps d’extermination. Quand les hommes ne sont plus qu’un numéro tatoué.
En réponse à cet acharnement, apatride dans son pays où l’occupation refuse de lui donner une identité, l’empêchant de circuler, de vivre, de respirer, mon personnage principal cherche l’amour et le trouve, boit, danse, rit avec tristesse, mais aime la musique, les femmes, les grasses matinées, les chansons de Fayrouz et tourner en ville au volant d’automobiles aux moteurs puissants. Il vit plus intensément, et chaque futilité devient un trésor remporté sur la possibilité constante du néant, pour lui qui n’a droit à peine qu’aux miettes de rien. Il regarde les hommes tomber, et se dit que c’est bien cela que l’humanité a décidé pour eux, pour lui, pour les siens et leur avenir. Il en sourit, d’un sourire plus triste que les larmes. Depuis longtemps il a compris l’essentiel de ce que sont ses contemporains. Alors il sourit encore et se lève au petit matin, va ouvrir les rideaux de la chambre, les rideaux sur le monde, empêchant la nuit de se perpétuer, un jour encore… »

se procurer le livre
Check-point est disponible à Tanger seulement, aux librairies les Insolites, des Colonnes, La Virgule, au Cercle des arts, à la Fnac, à Las Chicas et à la galerie Conil.

Extrait sonore de la répétition d’une lecture de Check-point, le 7 janvier 2017, avec Anass Bakouhi au bendir.