Erg - Philippe Guiguet Bologne

Erg
Slaïki, Tanger, 2023
66 pages, 4 Euros, 40 dh
10×15 cm
Dépôt légal : 2023M02024
ISBN 978-9920-598-68-2

extrait
tout ce que tu me fus d’immensité
à l’aune d’un erg infranchissable
me terrasse de ce supplément
– qui comble mes néants
et leur voracité et quelles soifs ! –
que jamais je n’aurais osé

un martèlement de forge
à rebattre le fer
les cartes du jeu
que l’on savait pourtant faussé
tant d’énergie à nous façonner
dans une humeur du temps
qui frôlerait le désespoir
à force d’y mettre de soi-même
et de calfater jusqu’au moindre hiatus
comme à gorger des déserts
leurs aridités toujours avides
leurs lumineuses ardeurs
et ce bouleversement à fleur
d’une peau grenée d’émoi
où d’une errance assurée
d’un doigté qui se humant
limier et veneur à sa proie
sait qu’il va où il dénichera

– une salve au pli du ventre
comme une idée d’entrailles
au cœur de ce qui fait l’extase –

là où culmine l’appel du vide
un reflet des rondes de l’univers
quand autour d’un point de nuit
gronde le scintillement du monde
nos corps s’en retournant
le temps de répéter nos petites morts
s’enchantent d’un suspens connu
de quelques dieux seulement
et sans doute de leurs pires démons

résumé
(…) Erg est un poème qu’on peut lire comme l’ascension du lit d’un oued à sec, au long d’un paysage originel, tel un Bédouin qui, se prenant pour Charles Marlow, divague à la rencontre de son Kurtz ; ainsi remonte-t-on le parcours qui forme une vie, pour découvrir qu’un coup de folie peut créer un grand prêtre, si ce n’est un demi-dieu, ce que finalement nous pourrions tous devenir, mus par une démence qui nous réalise, par un tellurisme qui nous consacre : nous sommes tous capables de l’envers des mondes. Sans pour autant atteindre ces abysses qu’avait hantés Antonin Artaud, le nomade parcourt ici le poème comme une traversée du désert, sachant qu’il n’est jamais possible d’en sortir indemne. Il n’y a pas de désert innocent : miroir de ce que l’on va y chercher, en creux, il demeure un anéantissement par lequel se glissent nos propres désirs de vide : le poème suit donc les voies très bowlesiennes de la perdition (…).
On l’a toujours pensé et tout autant répété : faire acte de langage crée le monde. Imaginait-on alors combien énoncer pouvait tout aussi bien le déréaliser, le défaire et faire le vide ? La langue est le début du monde ; la langue est aussi un effacement. Le Verbe révèle ce qu’il désigne, faisant advenir ce qu’il nomme ; il peut de même réduire au néant ce qu’il assigne : abracadabra, et ne reste alors de tout ce que l’on a construit, imaginé, écrit, qu’une coquille vide et transparente. Une disparition. Peut-être est-ce là le faîte de la culture, de la civilisation tout du moins : sa propre fin induite par tout ce qui l’a édifiée. Erg va et tente de remonter jusqu’à ces régions-là, où s’arase une expression du réel et de la langue pour parvenir à n’être plus rien que le sentiment d’une vaste dévastation, peut-être celui d’une supercherie : celle de la conscience. Le désert est une scène privilégiée. Il faut autant de courage et d’énergie pour s’effacer que ce qui est nécessaire aux grands combats pour exister et perdurer.
« Car je suis un désert. Car je suis de la même nature que celle des déserts. Car j’appartiens à la même vaste et inénarrable désolation que celle des déserts », difracte le narrateur de cette traversée aimante, minérale et sans fond.

se procurer le livre
Erg est disponible à Tanger seulement, aux librairies des Colonnes, les Insolites, la Virgule et à la Galerie Conil.