Catherine Renaud Baret nous prend par la main et nous emmène dans la ronde de ses personnages à travers les médinas de son imaginaire. Il n’y a ici de décor dressé que pour laisser passer la danse de ses fantômes. Car la déclaration amoureuse qu’elle fait à son Orient s’abstrait d’une réalité trop pesante, d’un détail trop ostentatoire, d’un trait trop ferme qui dirait plus qu’elle ne veut suggérer. On le sait : nos Orients sont habités d’esprits, que la peintre tente ici de saisir d’un coup de crayon estompé, effumé, indéfini. A la façon de courtisans dans une fresque renaissante détériorée, ils vont leur chemin à travers un espace fané, où ils apportent leur lumière intérieure d’êtres de pensée. Les fantômes de Catherine Renaud Baret sont heureux.

A la façon de l’affirmation de soi de ses personnages qui veulent se faire oublier, la technique ici joue l’effacement et, dans une liberté digne d’un geste de la comedia del arte, la peintre défait littéralement sa technique pour n’en laisser exposer, à la façon de cotillons, qu’un heureux artifice de confusion. On estompe comme on s’oublie, humble et digne, d’un bout du doigt et, l’œil concentré, on liquéfie la forme et on laisse du réel un sentiment de suspend seulement. Cela aura été… Cela aurait pu être…
Et pourtant, d’un coup de détail, l’artiste nous rappelle qu’elle n’a pas quitté le champ de la figuration, les limbes de l’ancrage au réel. L’univers des idées et son abstraction, qui ici est toile de fond, n’est pas le seul horizon, mais l’affirmation de l’humain est ce qui doit prédominer, ce qui résiste. L’essentiel. Le cœur de cible visé par le crayon et le pinceau. Un pli de haïk, les rayures tissées dans la bure d’une djellaba, les courbes d’une cruche, la pointe d’une babouche, l’arrondi d’une barbe, l’or de bracelets, la profondeur noire d’un regard… C’est, dans cet état de fusion qu’est le dessin de Catherine Renaud Baret, le détail qui annoncera le principal.

La peintre dresse certes quelques paysages où s’ennuient des coupoles ou de larges remparts, où attendent de placides mules et de nobles dromadaires, mais ce ne sont là que quelques amusements, qui plus est académiques, que s’offre l’artiste : son cheminement se fait à travers le désir d’humain et de lui redonner une certaine primauté : ce qui reste quand tout est défait. Le détail qu’elle choisira comme punctum relève du pittoresque, mais entendons-nous : un pittoresque orientalisant serait pour elle, élevée contre les colonialismes anciens et nouveaux, à juste titre insultant. Catherine Renaud Baret nous offre un pittoresque qui n’est pas le figement naïf de ce qui fait d’un monde autre son exotisme, elle nous présente ce qui fait la différence, ce qui la fait elle-même différente, ce qui nous rend différents : elle devient l’étrangère, l’autre, le supplément d’âme.

Elle travaille ainsi dans son dessin la problématique qui tresse et déconstruit tout le questionnement autour de l’altérité. Qu’est ce qu’un regard sur un monde qui n’est pas le nôtre. L’équation qu’elle aura trouvée pour répondre à cette question est assez simple : entre n’être pas d’ici, mais être d’ici, il reste l’être ici, qu’elle travaille avec acharnement dans les signes de la différence, et même, et surtout, de la différance. Une enfance maghrébine, une mère figure des recherches introspectives, les trésors de l’entre deux religieux et culturel où elle circule autorisent de telles acrobaties de pensées et de pouvoir rattacher ces personnages éthérés à de tels cheminements.

A travers son approche légère et bienveillante de l’altérité, on comprend immédiatement que l’essentiel de son questionnement est de savoir ce qu’est un regard clément sur l’autre. Et la peintre est ici en elle-même, dans sa geste artistique comme dans sa vie telle que nous la connaissons, un exemple de réponse : la plume et le pinceau sont une adresse de délicatesse vers l’autre, une reconnaissance du bout de ce que l’on sait être un instrument : l’objet de travail sur le monde pour en dépecer une compréhension, en saisir une résonnance. Raisonnance. Un entendement donc, un éclairage, une lumière.

Catherine Renaud Baret dessine et peint comme l’on esquisse, à vif et dans l’éclair, alliant instantanéité et intensité, vitesse et épaisseur, être là absolu et mémoire. Elle qui va par le monde toute en circonspections et précautions, vous prend ses personnages avec une fermeté que ne dément que la douceur du trait. Ici, elle saisit l’autre d’un coup de crayon, s’en saisit même, comme pour mieux nous affirmer, finalement, enserrée dans cette image qu’elle a produit et qui est sienne : « regardez, je suis l’autre ! » Ainsi, dans la ronde de ses femmes voilées, toutes plus sensuelles, charnelles, voluptueuses les unes que les autres, lit-on dans le voile non pas le cache d’une liberté et d’une dignité, mais une belle affirmation de l’artiste : « c’est à travers elles que je me dévoilerai ! »

Ses dessins le disent et le répètent, avec une perspicacité et une détermination sans équivoque, tant dans leur multiplicité que dans leur unité : n’être pas de là n’est pas ne pas être là. Et Catherine Renaud Baret, qui n’est pas arabe ni berbère, née et grandie cependant dans ces horizons-ci, s’affirme comme étant là, toute proche, et se veut dans l’affirmative : je suis d’ici, je suis ici, avec vous. Et dans son transparent regard bleu-vert, comme sait l’être le ciel certains printemps ou certains automnes du sud de la Méditerranée, elle laisse transparaître tout ce que finalement elle est et aime à être : un volontarisme forcené de s’ouvrir à l’autre, de se rendre curieux de l’autre, de porter une attention inaliénable à cet autre qui n’est autre que nous, reflet effumé des traits d’une humanité saisie dans le dessin d’une ronde de personnages célestes.

Philippe Guiguet Bologne
Tanger-Taroudannt, janvier 2016

(Texte écrit pour l’exposition des œuvres de Catherine Baret, Galerie Conil, Tanger printemps 2016)