Danse avec moi

Oui, d’accord, je te suis jusqu’au bout des mondes, jusqu’où tes rêves seuls peuvent me conduire…  Trois pas et trois temps… un Tango, volutes et ellipses, mouvement et ses pauses, temps, temps, temps…

Il me plait de retrouver Itaf Benjelloun dans cet imaginaire dont je la soupçonne de puiser ses sources dans un palais d’enfance édifié au-milieu d’une campagne bariolée, à la terre orange d’où émerge le bleu des oliveraies et des futaies d’eucalyptus, le vert des bosquets d’orangers et de verveine… une grande demeure d’arabesques, où d’antiques nurses noires poursuivent des marmailles agitées, où des patios brûlés de lumière hébergent d’énigmatiques oiseaux piailleurs, où la légèreté des fontaines s’entretient secrètement avec de sourds couloirs d’ombres chuchotantes…

Un texte de Garcia Marquez, un film de Ruy Guerra… Erendira, qui invite à danser, matelots et chalands, noceurs d’une nuit et dandies venus rêver se perdre… « Danse avec moi », trois temps, tout un imaginaire de Tango, volutes encore, moucharabieh et fers forgés, coup de pied tendu, lèvres à peine entrouvertes, souffle coupé…

Poupée de brics et de broques, cassée, dévissée, à l’aune d’un Tango qui se joue pendant un siècle de solitude, un escarpin perdu, un collier brisé, des ressorts, que de ressorts ! et des rouages à n’en plus finir… Où les entrailles de la belle s’étalent comme autant de parures, la belle allongée sur un divan de velours de soie rouge, la belle qui s’assoupit et rend l’âme à sa poupée…

J’imagine ce portrait que Raphaël ou Ingres aurait fait de ce modèle inespéré qu’aurait été Itaf Benjelloun, et j’imagine le modèle brisant son portrait, en éparpillant les fragments, les offrants aux vents et aux marées, venant tous s’échouer dans les rouages de la poupée désarticulée…

Des roues, des dents, des leviers. Les entrailles du monde retrouvent ici la posture debout, digne, et marchent. Dans cette violence de pointes acérées, par la verticalité et la poésie, tout retrouve une âme, douce douceur de cette Erendira qui fit tant pour se perdre à force de se donner. « Danse avec moi », je te donne la main, serre-la et sent le rythme de la vie qui sourd ici. « Danse avec moi », je suis la source….

(Texte écrit pour l’exposition Danse avec moi des œuvres d’Itaf Benjelloun, Fondation ONA, Rabat printemps 2013)