
Le grand large
L’Harmattan, Paris, 2025
154 pages, 16 Euros, 210 dh
13,5 x 21,5 cm
ISBN 978-2-336-50329-5
quatrième de couverture
Quand nous pensions trouver dans le désert une forme de sérénité, un détachement du monde matériel tel qu’il nous accable et nous contraint dans nos sociétés consuméristes, quand nous croyions déceler dans le désert une liberté toute d’immatérialité, nous n’y avons levé que nos propres vides. Pour qui n’y est pas né et qui n’en vit pas, le désert est une réalité en creux où consigner nos seuls fantasmes, des plus élevés jusqu’aux plus éculés. La réalité du désert est toujours autre, bien différente, forcément. Philippe Guiguet Bologne a effectué quelques séjours à Tata, au pied du Jbel Bani, au-delà de l’Anti-Atlas et sur le seuil du Sahara, pour aller questionner ce que sont l’oasis et son désert. Il y a trouvé un paradis comme celui promis par le Livre, un temps qui échappe encore à son époque, des hommes au sourire dessiné par la beauté de la conscience d’être-là, une entière volière d’oiseaux qui chantent le jour. Il a aussi percé une vaste inquiétude, un sentiment de mort hantant les ruines d’un monde méprisé par la modernité et anéantit par une ère qui ne se repaît que d’instantanéité, quand le désert est nourri d’éternité et d’atemporalité. Tata se situe dans un entre deux de tous nos mondes, entre le désert et la montagne, entre la gravité et le ravissement, entre le doute et l’évidence, entre un patriarcat millénaire et un royaume de femmes-fleurs qui rient au nez de l’austérité du monde, entre le tribalisme autoritaire et les démocratismes antiques et fondamentaux. L’oasis forme un havre, une île, un songe, un achèvement et toutes les incomplétudes qu’il réserve. Le grand large est un horizon, un espace infini et inépuisable, inatteignable encore ; il est le récit de cette découverte, pas-à-pas et riche de tant de questions et de petites révolutions, accompagnées par toutes les considérations sur ce que signifie faire humanité et quel sens peut avoir l’écriture face à tout cela.
extrait
« Ma curiosité pour Tata s’est attisée lentement et d’une façon très détournée. Je me souviens encore, après un déjeuner, en prenant le café dans le grand salon de sa belle demeure de Tanger, que Gipi Salvy de Richemont m’avait conseillé, pour agrémenter mes périples hivernaux dans le Sud du Maroc, d’effectuer une plongée jusqu’à Tata. « La région est très belle, très particulière. Et je suis toujours étonné de voir les femmes vêtues de costumes aux amples jupes colorées, ondoyant sous de grands volants, comme portées sur des vertugadins. Sans doute l’héritage d’un lointain passé colonial… », avait-il tenu à me préciser, avec ce petit éclair de plaisir qui illuminait toujours son regard quand il dévoilait l’un de ses trésors à un interlocuteur privilégié. Des femmes du désert flottant dans des vertugadins formaient un détail suffisamment saugrenu pour qu’il me reste en tête. Longtemps plus tard, à Taroudannt, alors que je sirotais un jus de pamplemousse dans l’un des estaminets de la place Tameklat, l’attraction concitoyenne autorisa une voisine française à engager la conversation ; elle me confessa ne passer que deux journées dans l’ancienne capitale saadienne avant de rejoindre Tata pour l’hiver, où le climat lui paraissait sensiblement plus clément. « Et je trouve cette petite ville tellement spéciale, tellement touchante… Je suis bouleversée quand, après une grosse pluie, tous les habitants se rendent sur le pont pour aller regarder l’oued couler. » Il n’en fallait pas plus pour définitivement aiguiser mon intérêt, quand je me représentais un groupe de courtisanes du XVIIIe siècle, papillonnant sur un Rialto de pierres sèches au-dessus d’un torrent de boue ocre, dans un paysage de sable, de rochers et de cactus. Il me fallait donc absolument aller vérifier combien ma fantasmagorie me trompait. Je me suis finalement rendu à Tata pour visiter le mellah de Tazart, dont était originaire une partie de la famille de Mardochée Aby Serour, le fameux drogman que Charles de Foucault avait employé pour le guider dans son dangereux périple chérifien, qu’il avait recruté à Tanger pour donner naissance à l’un de ces récits qu’affectionne tant la cité du détroit et dont elle nourrit ses mythologies nouvelles. J’ai donc pris la direction de Tata, où j’ai découvert une bourgade comme brodée des arcades d’un vieux comptoir colonial, ocre de la couleur du désert, sertie dans une forme de rocaille et dont certains points de vue, du haut des collines tout en caillasse qui cernent les sinuosités de la plaine, reposaient sur un véritable tapis gris bleuté de palmiers d’une sérénité enchanteresse. L’oasis, animée par les seuls chants aigus d’une invisible et vaste volière et du cliquetis des filets d’eau qui courent dans les seghias, où les carrés d’un vert lime éclatant des pousses de blé paraissaient aussi repus que les pâturages où paissaient des ânes somnolents et patients, dans une lumière sacrée de celles peintes par les Maniéristes, a formé à mes yeux un préambule de ce que pouvait être le paradis. Les hommes que j’ai croisés, tous, arboraient le plus doux des sourires, qui aurait pu annoncer combien, en toute simplicité, ils étaient heureux d’être là, ici et maintenant. De retour à Taroudannt, je racontais cet enchantement à l’ami Hervé Rigo, qui tant aime à randonner sur les contreforts et les hauteurs de son Atlas, et qui, dans un soupir gonflé d’une sorte de nostalgie pour un Éden platonique que sans doute il a déjà frôlé, me chuchota : « Ah ! Mais Tata, c’est déjà le grand large… » Une telle formule pour évoquer le seuil du désert ! Il ne m’en fallait pas plus pour enflammer mon désir de me lancer dans la nouvelle aventure d’une écriture. »
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